Le 29 septembre 2023,

Les Cinéastes de L’ARP sont co-signataires, au même titre que plus de 70 organisations du secteur culturel, d’un courrier adressé à la Première ministre, afin de mettre en garde sur l’émergence de l’intelligence artificielle dans le secteur culturel.

Lire la tribune parue dans Le Monde.

Par courriel exclusivement

Objet « AI ACT : construisons maintenant une IA de rang mondial respectueuse de la propriété littéraire et artistique »

Madame la Première Ministre,

Avec l’installation du Comité de l’intelligence artificielle générative vous avez envoyé un message que nous partageons : l’IA marquera en profondeur nos sociétés, leur organisation et nos économies. De fait, les industries culturelles et créatives, qui représentent aujourd’hui 4,4 % du PIB et plus de 7,5 millions d’emplois dans l’Union européenne[1].se sont toujours construites en lien avec les évolutions techniques et technologique et continuent sur cette voie, l’IA ne faisant pas exception. 

La démarche que nous portons auprès de vous s’inscrit autant dans l’urgence que dans la responsabilité : le développement rapide des outils d’IA appelle l’adoption d’un cadre garantissant une réelle transparence sur les œuvres et les contenus utilisés pour entraîner les machines. A l’instar de la régulation des plateformes avec les textes successivement adoptés depuis 2018, la France et l’Europe ont aujourd’hui l’opportunité de proposer un cadre règlementaire équilibré pour ces nouveaux services à travers le projet de règlement sur l’IA.

Nous saluons vivement l’introduction dans ce texte de dispositions spécifiques sur les IA génératives par le Parlement européen. Nous appelons la France à soutenir fermement ce principe de transparence dans le cadre du Trilogue, en s’attachant à préserver et perfectionner les apports de l’article 28b(4) plutôt qu’à coaliser une partie des Etats membres contre cet article qui porte la mise en place d’un cadre pour les modèles de fondation des IA.

L’intelligence artificielle générative (IAG) n’existe que si elle peut se nourrir. Les contenus culturels et les éléments de la personnalité des artistes sont essentiels à cet égard. Or ces ressources à forte valeur ajoutée sont, dans leur très grande majorité, protégées au titre de la réglementation sur les données personnelles, d’une part, et du droit d’auteur et des droits voisins, d’autre part, qui valorisent et protègent les intérêts moraux et patrimoniaux des créateurs et des éditeurs tout en sécurisant les lourds investissements qu’elles sous-tendent.

En effet, depuis plusieurs années, les IAG du type de ChatGPT utilisent de vastes quantités d’œuvres protégées, qu’il s’agisse de musiques, de photographies, de contenus audiovisuels, cinématographiques, littéraires ou de presse, pour entraîner leurs applications et générer de nouveaux contenus. Témoignent de cette utilisation la restitution de passages entiers d’ouvrages sous droit tels que « Harry Potter », la production de nouvelles œuvres reprenant le style d’un artiste, tels que Drake & The Weeknd, Angèle, Johnny Hallyday, pour ne citer que les exemples les plus visibles, ou la reprise de publications de presse protégées par les droits d’auteur et droits voisins. Des contenus alternatifs et potentiellement concurrents des originaux sont ainsi mis à disposition du public, sans pour autant que les services d’IAG concernés aient eu à assumer les investissements inhérents à la création littéraire et artistique.

De fait, ces IAG constituent des sortes de « boîtes noires » qui ne permettent pas aux auteurs, à leurs cessionnaires et ayants droit de savoir si leurs œuvres ont été utilisées, à quelle date elles ont intégré le corpus alimentant l’IA et donc si leurs droits de propriété intellectuelle ont été respectés. Au contraire, il est très vraisemblable que les entraînements d’IAG se fassent depuis plus d’une dizaine d’années sans l’accord des titulaires de droit.

Aussi positive que soit l’obligation de transparence pour les IA génératives introduite par le Parlement européen en mai dernier sous la forme d’un « résumé des usages concernant des œuvres protégées par le droit d’auteur », elle reste grandement insuffisante. Il est donc essentiel de la renforcer. Afin d’éviter un « blanchiment des données », et pour rendre possible la juste rémunération des ayants droit, nous souhaitonsque soit imposé dans l’article 28b(4) le principe d’une transparence totale à travers une liste détaillée des œuvres utilisées par les systèmes d’IAG et leurs sources, liste qui doit être tenue à la disposition des titulaires de droit.

La « petite musique » selon laquelle la transparence demandée par nos secteurs nous ferait rater le virage de l’IA est trompeuse : l’accès aux sources et la conservation des informations d’entraînement sont simples à mettre en place pour un développeur d’IA et constituent le préalable d’une relation vertueuse avec les titulaires de droits.

Il ne s’agit donc pas de créer de nouvelles règles de propriété intellectuelle, mais d’assurer la mise en œuvre effective de nos droits (notamment en cas d’utilisation illégale, d’absence de prise en compte d’un éventuel « opt-out » ou de reprise par des entités commerciales de projets initiés à des fins de recherche), et d’être associés demain au partage de la valeur créée à partir de nos œuvres, de nos articles et de nos contenus.

Sans un tel rééquilibrage de la situation, le risque est grand d’opposer une nouvelle fois acteurs de la culture et du numérique, alors même qu’ils appartiennent désormais au même écosystème économique. Nous avons une conviction : le développement d’une filière d’IA de rang mondial doit aller de pair avec le rayonnement de la création. C’est la rencontre des innovations culturelles et technologiques qui nous ouvriront des potentiels de croissance. La transparence n’en est que le prérequis.

La parole du gouvernement français est toujours écoutée et souvent entendue quand il s’agit de concilier le développement du numérique et la protection des secteurs créatifs et culturels. Alors que la contestation des protagonistes de la création continue de monter dans le monde entier, y compris devant les tribunaux, la France doit encore une fois être au rendez-vous. Au vu de leur impact sur nos activités, les obligations de transparence que nous portons, et qui font l’objet d’un très large consensus au sein de nos industries, sont indispensables et ce dès aujourd’hui.

Comptant sur votre lecture bienveillante et votre engagement à défendre et promouvoir une ambition française pour la création à l’ère numérique, nous sollicitons un échange sans délai et vous prions de croire, Madame la Première ministre, en l’assurance de notre haute considération.

Signataires :
ADAGP Société des Auteurs dans les Arts Graphiques et Plastiques
ADAMI Organisme de gestion collective des droits des artistes-interprètes
AGrAF Auteurs Groupés de l’Animation Française
Alliance de la Presse
AnimFrance Syndicat de la production audiovisuelle et cinématographique indépendante d’animation
API Association des Producteurs Indépendants
ATAA Association des Traducteurs Adaptateurs de l’Audiovisuel
ATLF Association des traducteurs littéraires de France
CEMF Chambre syndicale des Éditeurs de Musique de France
CFC Centre Français d’exploitation du droit de Copie
CFDC Coalition Française pour la Diversité Culturelle
CISA Coordination Inter-Syndicale de l’Audiovisuel
COSE-CALCRE Information et Défense des Auteurs
CPE Conseil Permanent des Ecrivains
CSDEM Chambre Syndicale de L’Edition Musicale
DVP Droits Voisins de la Presse
EAT Ecrivains Associés du Théâtre
EIFEIL Fédération des éditeurs indépendants en France
EUROCINEMA Association de Producteurs, de Cinéma et de Télévision
F3C-CFDT Fédération Conseil, Communication, Culture CFDT (F3C-CFDT)
FASAP-FO Fédération des Arts, du Spectacle, de l’Audiovisuel et de la Presse Force Ouvrière
FNCF Fédération Nationale des Cinémas Français
FNEF Fédération Nationale des Editeurs de Films
FNPS Fédération nationale de la presse d’information spécialisée
FNSAC-CGT Fédération Nationale des Syndicats du Spectacle, de l’Audiovisuel et de l’Action Culturelle
GFS La Guilde Française des Scénaristes
La Maison de Poésie
L’ARP Société Civile des Auteurs, Réalisateurs et Producteurs
PEN CLUB Pen Club
PROCIREP Société des Producteurs de Cinéma et de Télévision
SACD Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques
SACEM Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique
SAIF Société des Auteurs des arts visuels et de l’Image Fixe
SAJ Société des Auteurs de Jeux
SAPHIR Syndicat des Agences de Presse Photographiques
SAPI Syndicat des Agences de Presse d’Informations Générales
SATEV Syndicat des Agences de Presse Audiovisuelles
SCA Scénaristes de cinéma associés
SCAM Société Civile des Auteurs Multimédia
SCFP Syndicat des Catalogues de Films de Patrimoine
SCPP Société Civile des Producteurs Phonographiques
SDLC Syndicat des Distributeurs de Loisirs Culturels
SEAM Société des Éditeurs et Auteurs de Musique
SEDPA Syndicat des Distributeurs de Programmes Audiovisuel
SELF Syndicat des écrivains de langue française
SEPM Le Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine
SFA-CGT Syndicat français des artistes-interprètes
SGDL Société des Gens de Lettres
SLF Syndicat de la Librairie Française
SN3M Syndicat National des Musiciens et du Monde de la Musique
SNAC Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs
SNAM-CGT Union Nationale des Syndicats d’Artistes Musiciens de France
SNE Syndicat national de l’Edition
SNEP Syndicat National de l’Edition Phonographique
SOFIA Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit
SPCS Syndicat de la Presse Culturelle et scientifique
SPECT Syndicat des Producteurs et Créateurs de Programmes Audiovisuels
SPI Syndicat des Producteurs Indépendants
SPIAC-CGT Syndicat des Professionnels des Industries de l’Audiovisuel et du Cinéma
SPIIL Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne
SPPF Société Civile des Producteurs de Phonogrammes en France
SRF Société des réalisatrices et réalisateurs de films
SudAnim Association des Professionnels de l’Animation en région Sud
U2C Union des Compositrices et Compositeurs
U2R Union des réalisatrices et des réalisateurs
ULM Union des Librairies Musicales
UNAC Union Nationale des Auteurs et Compositeurs
UNIFAB Union des Fabricants
Union des Poètes et Cie
UPC Union des Producteurs de Cinéma
UPFI Union des Producteurs Phonographiques Français Indépendants
UPP Union des Photographes Professionnels
USPA Union Syndicale de la Production Audiovisuelle

Cc.

Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur
Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances, de la Souveraineté industrielle et numérique
Rima Abdul-Malak, ministre de la Culture
Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications
Philippe Aghion et Anne Bouverot, coprésidents du comité de l’intelligence artificielle générative


[1] Rebuilding Europe, The cultural and creative economy after COVID-19, EY, Janvier 2021