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Les Rencontres de L’ARP sont terminées, et nous en tirons plusieurs enseignements.

Il est tout d’abord très clair que la situation du cinéma français est dramatique, les salles sont fermées, nous sommes coupés de notre public. Il est clair, entre autres, que l’état de ceux qui font au quotidien la diversité du cinéma, est alarmant, tous se trouvant au bord du précipice : auteurs, producteurs indépendants, équipes, actrices et acteurs, distributeurs, exploitants… Il est clair aussi qu’un certain nombre d’actifs stratégiques pourraient être menacés par des rachats étrangers : salles de cinéma, catalogues de films européens…

Financer un film aujourd’hui est devenu un exercice plus que périlleux, presque impossible, tant les ressources se font de plus en plus rares, tant l’avenir est incertain. Le nombre de films français, dont les films du milieu, va certainement dégringoler.

C’est pourquoi, aujourd’hui, en partie pour amortir cette chute, et pour rétablir l’équité avec les acteurs historiques, la contribution prochaine des plateformes américaines, qui vont devoir investir à travers le décret transposant la Directive SMA, est un événement majeur, certainement le plus important depuis l’avènement de l’exception culturelle. Ce nouveau partenariat, nous l’accueillons évidemment positivement car il élargira l’accès à nos œuvres à un public sans doute plus large et différent. Mais il est surtout « juste » et « indispensable » qu’à l’heure de la COVD où le cinéma va si mal, les plateformes, grandes gagnantes de cette période mortifère, participent au financement de la création. Comme les chaines de télévision depuis des décennies, ou les chaines payantes comme CANAL+ ou OCS dès leur arrivée sur nos petits écrans.

Toutefois, sur la route du décret de cette régulation, deux obstacles majeurs, incontournables, fondamentaux restent à franchir.

En premier, la possibilité pour ces géants américains d’acquérir sans limite les droits monde. Ce séisme terriblement dangereux fragiliserait le principe d’exception culturelle. Il détruirait des partenaires historiques, créerait un manque à gagner pour les producteurs indépendants, et mettrait en danger les distributeurs étrangers amoureux des films français. Nous nous battons pour que, ici comme ailleurs dans le monde, la sortie en salle, moment d’échange magique, reste l’acte de naissance d’un film de cinéma et son plus bel écrin. Cette concession nous conduirait aussi à confier aux plateformes américaines la responsabilité du rayonnement du cinéma français dans le monde. Nous refusons ce scénario.

Le deuxième obstacle, qui est de même nature, est d’ouvrir la possibilité, pour ces géants américains multimilliardaires, à travers la création de filliales européennes, de devenir producteurs délégués sur le territoire européen.  Ce serait profondément contraire à l’esprit des pères fondateurs de l’Exception culturelle française, dont le fonds de soutien est un des piliers vitaux. Cette mesure, à moyen terme, transformerait les producteurs et créateurs en simples exécutants des plateformes américaines.

A un moment crucial géopolitique où l’Europe est prise en étau entre des plateformes américaines superpuissantes et une hégémonie chinoise qui ne se cache plus, cette Europe que nous aimons doit revendiquer haut et fort sa souveraineté culturelle.

La force de la France et de l’Europe doit rester l’autonomie, l’indépendance et la diversité de sa création. Nous voulons croire que ces plateformes surpuissantes vont accompagner cette force et non pas la déformer. C’est pourquoi nous devons donc nous prémunir contre toute possibilité de prédation, comme l’a rappelé le Commissaire au marché intérieur Thierry Breton.

Notre objectif, primordial, majeur, est l’intégration des plateformes américaines au modèle français, et non l’intégration de la création française au modèle américain. C’est aussi la condition pour ne pas abimer les rapports privilégiés que nous avons avec les partenaires historiques qui, depuis des décénnies, ont participé à la bonne santé de notre cinéma, deuxième du monde, faut-il le rappeler.

Pierre Jolivet, Président de L’ARP