07.11.2025

Eva Husson, Cinéaste de L’ARP et Jérôme Enrico, Cinéaste et Président de L’ARP – Crédit photo : Susy Lagrange
Chers tous,
Le moment est grave. Nous l’avons senti dans la forte demande de participation à nos Rencontres, nous le sentons dans tous les échanges, privés et professionnels, au cours de ces Rencontres. Oui, la situation est grave, en France, et dans le reste du monde. Des nuages noirs s’accumulent dans le ciel des démocraties, et forcément de la culture et par conséquence du cinéma, élément le plus emblématique et le plus indispensable pour permettre aux citoyens de voir raconter leur propre histoire avec la liberté de réinventer, renouveler, bousculer leur propre imaginaire.
La période rend la culture et le cinéma subversifs par essence, assumons-le. Puisque nous sommes perçus comme un ennemi, alors assumons cette situation que nous n’avons pas choisie, refusons d’être la victime prise de vitesse… et livrons bataille !
Elle commence à Bruxelles où la dichotomie entre l’esprit de la Commission, libérale, ouverte aux vents mauvais d’outre-Atlantique, n’est plus la voie des citoyens représentée par leurs députés ou leurs ministres au cœur du Parlement ou du Conseil. Ceux qui y livrent bataille pour nous, sur des sujets comme la SMA, Agora EU (quel terme barbare qui n’inaugure rien de bon) doivent pouvoir compter sur nous. L’ARP doit être l’une des têtes de pont pour les créateurs français et européens, prêts à « débarquer » en quelques heures à Bruxelles pour faire peser tout le poids de la création et de la diversité à l’instant de décisions cruciales !
La France, à présent. En France, pas de création cinématographique sans indépendance, pas de prototype libres et ambitieux, pas de prix dans les festivals, mais aussi pas de fidélisation des spectateurs sans diversité ! Les producteurs indépendants sont en danger, ceux produisant les films du milieu particulièrement, mais les autres aussi, et avec eux les cinéastes et techniciens qui donnent naissance aux films. Films à petit budget, dits films de la diversité, films du milieu, même combat. Mais dans ce combat, il devient vital que la vraie indépendance soit identifiée, gratifiée, protégée, car c’est elle la vraie garantie de la démocratie. Dès demain, rendez-vous doit être pris avec les pouvoirs publics pour redistribuer les cartes, repenser un équilibre plus juste, plus vertueux, plus audacieux, l’époque l’exige.
L’IA, grand sujet. Son utilisation fascine, démocratise l’accès à la création et nul doute que, bien utilisée par des cinéastes avisés, elle sera un outil qui pourra rééquilibrer, par le spectaculaire qu’elle propose, le rapport de force entre grosses productions américaines et le cinéma européen. Celui-ci doit rester inventif, lui qui sait faire beaucoup avec peu, et mieux en étant plus audacieux et plus séduisant aussi. Aucun doute que les réalisatrices et réalisateurs français et européens vont savoir chevaucher cette monture sauvage pour gagner des courses. Reste la question de la rémunération. Des œuvres passées, des œuvres à venir. Les discussions sont complexes, elles piétinent pendant que l’IA court. À la lumière du débat d’hier, L’ARP s’engage à assumer de véritables propositions dans les mois qui viennent car les IA hyperpuissantes se régalent de nos atermoiements français et européens.
Canal+ est le partenaire principal du cinéma. Son entrée en bourse, sa participation dans UGC, situation inédite, la continuité de diversité qu’elle induit nous séduit mais en même temps nous interpelle. Maxime Saada a répondu sans ambiguïtés à nos interpellations. Même si la situation est complexe, chronologie des médias, place grandissante des acteurs américains et incertitude politique, notre grande aventure commune se doit d’avoir un avenir, afin de perpétuer nos combats pour l’indépendance, l’insolence et l’audace.
La délinéarisation est un vrai sujet. Mariage de TF1 avec Netflix, mariage de France Télévisions avec Amazon, les lignes bougent pour relancer la vitalité des opérateurs classiques face à de nouveaux modèles, comme YouTube, qui captent le temps consacré aux écrans, notamment par les plus jeunes. De toute évidence ce nouvel acteur montre sa bonne volonté. Rappelons que lorsqu’un nouveau modèle de diffusion arrive et vient bousculer l’ordre établi, alors il doit avoir des obligations. Ce fut le cas pour l’arrivée de la télévision, ce fut le cas lors de l’arrivée de Canal+, ce fut le cas avec l’arrivée des plateformes américaines. Il est incontournable que YouTube, comme les autres, contribue au modèle cinématographique français.
Garant des engagements des diffuseurs et plateformes, l’Arcom représente l’État de droit indispensable en ces temps troublés à travers ses arbitrages. Nous devons pouvoir compter sur l’Arcom, et l’Arcom doit pouvoir compter sur nous pour trouver des solutions pertinentes qui préservent les fondamentaux des règles indispensables à notre modèle.
Dans quelques mois, nous aurons rendez-vous avec l’Histoire. Mais déjà notre service public, indispensable à la vitalité du cinéma et à la démocratie, est en danger. Donc, pas question de rester les bras croisés. L’ARP, comme toujours, comme jamais, va devoir relever ses manches, avec vous, avec tous ceux qui décideront que le changement vers un monde dystopique, n’est pas une fatalité.


