De toutes les personnalités du cinéma que j’ai pu croiser, Robert Redford en était certainement la plus séduisante, la plus charismatique.
En 1993, j’eus la chance d’être invité au « Sundance Institute » où, pendant deux semaines, j’étais chargé, avec lui et avec d’autres, de coacher de jeunes réalisatrices et réalisateurs du monde entier, certains pour l’écriture de leurs scénarios, d’autres pour la réalisation. Car si le « Sundance » accueille chaque hiver son festival, le même endroit devient l’été un lieu de recherche, de rencontres, de discussions, de projections. L’indépendance y est le maître mot, comme le voulait « Bob » car c’est ainsi qu’on l’appelait là -bas. Et là -bas, tout lui ressemblait : l’élégance, le partage, la tolérance et l’ouverture d’esprit y régnaient. Aux côtés de A J Pakula qui présidait notre groupe, nous restions le soir pour prolonger nos débats, échanger nos ressentis de la journée.
Deux moments passés avec Robert me reviennent.
Un soir, après la projection de son film « Et au milieu coule une rivière », et alors que nous nous interrogions sur le questionnement, voir l’angoisse dont nous faisaient part certains élèves au moment du passage à l’acte que représente la réalisation, Robert se mit à parler de lui, ce qu’il faisait rarement. Il nous confia la difficulté qu’il rencontrait avant chaque tournage, cette sensation que tout ce qu’il avait appris auparavant n’était plus d’aucune utilité, qu’il se sentait infiniment en danger. Avec humour, il se demandait parfois quand la supercherie de son talent de réalisateur allait être découverte !
Cette confession d’une profonde honnêteté entraina aussitôt d’autres confessions du même genre, laissant apparaître les doutes de chacun.
Le deuxième moment est au soleil, au grand jour. Après un déjeuner de l’équipe dans un restaurant d’altitude, je décidais de rentrer à pied au Sundance, deux heures de marche plutôt que 15 minutes de télésiège. Au milieu de ma descente à travers les sublimes paysages de la montagne de l’Utah, j’entends un bruit de sabot. C’est Bob qui avait pris la même décision que moi, mais à cheval. Profitant de cette parenthèse à deux, je lui dis mon admiration pour « Jeremiah Johnson », western mythique. C’est alors qu’il me raconte le tournage, m’indique du doigt les lieux où ont été tournés certaines scènes, son coup de foudre pour la magie de ces paysages, sa rencontre avec les amérindiens, la protection qu’il leur a apportée et sa décision de créer dans ce lieu le « Sundance », refuge du cinéma libre et indépendant
Puis, tout simplement, il est reparti sur son cheval. En le voyant s’éloigner, je me suis dis que si un être humain pouvait être à la fois un mythe et une personne accomplie, c’était Robert Redford.
Aujourd’hui, au regard de la nouvelle administration américaine, les artistes qui, comme lui, se revendiquent libres et indépendants, sont perçus comme hostiles, ce qui les fragilise dans l’expression de leur cinéma.
Battons-nous pour rester fidèle aux principes d’intégrité et d’engagement qui furent ceux de Robert Redford, et, plus que jamais, ouvrons grandes nos portes aux réalisatrices et réalisateurs américains animés du même esprit de liberté.
Pierre Jolivet, vice-président de L’ARP